III

 

La nuit est sombre, sans étoile et sans lune. Aucun bruit dans la campagne, aucun frémissement. Tout à l’heure, très loin, un chien a, dans l’ombre invisible, longtemps aboyé. Puis, de nouveau, le silence. L’air est pesant ; dans les arbres qui bordent la route, pas un souffle ne passe ; sur l’herbe des berges, pas un frisson. Seul, au milieu des ténèbres opaques, un ver luisant luit, reflet égaré d’une inaccessible étoile... Et voilà qu’une forme, plus noire que le noir de la terre, apparaît, s’avance, puis deux formes, noires également, qui la suivent. Bientôt les trois formes réunies ne font plus qu’une masse, étrangement agitée, qui tour à tour s’étend, se rétrécit, s’allonge, se découpe en profils de figures humaines, de bras levés, de mains tordues, d’angles sinistres semblables à des échines repliées, et de la masse mystérieuse partent des jurements, des bruits rauques de voix étranglées, et un cri désespéré, un appel affolé de victime qu’a immédiatement précédé quelque chose de sourd, comme la chute d’un corps sur le sol...

– Pèses-y sur l’ventre ! Ah ! la mâtine ! comme a s’débat !

C’est une voix de femme...

Et le cri reprend, plus douloureux.

– Mais, nom de Dieu ! arraches-y son fichu et fourre-lui dans la bouche, pour l’empêcher de gueuler !...

C’est une voix d’homme...

Le cri reprend encore, puis s’éteint brusquement en petit râle... Pendant quelques minutes, on n’entend que des coups furieux auxquels répondent des bruits mous de chairs écrasées et d’os broyés.

– Ça y est-y ? demande la voix d’homme.

– Ça y est ! répond la voix de femme. Tout d’même elle avait la vie dure, ta mè !

– Ah ! la rosse ! j’en ai chaud !... Quoi qu’j’allons en faire ?

– J’allons l’laisser là !... Allons, viens nous-en !

Les pas vont s’éloignant sur la route.

Et la nuit, un instant troublée, retombe dans son silence et son immobilité.

Contes III
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